Histoire adresse Catherine de Médicis et sa passion des portraits adresse Catherine de Médicis et les portraitistes français
 
Pour citer cet article : Alexandra Zvereva, « Catherine de Médiciset les portraitistes français », in Katheleen Wilson-Chevalier (dir.), Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, Saint-Étienne, Presses universitaire de Saint-Étienne, 2007, p. 527-543. Article mis en ligne le 4 janvier 2009 (http://www.portrait-renaissance.fr/histoire/publication_205.html).

Antoine Caron, Catherine de Médicis recevant Etienne et Pierre Dumonstier, Paris, BnF Cabinet des Estampes.
         Entre les dons plus beaus qu’à la France aient faits,
         Pour la favorizer, le Temps et la Nature,
         C’est qu’ils lui ont doné au bel art de peinture
         Des ouvriers desus tous excelens et parfaits.
                               (Louis d’Orléans ?)[1]


vant de prononcer sur leurs œuvres un jugement qui, dans la circonstance, valait un arrêt sans appel, Catherine atterrait les portraitistes français de ses pauses : son œil presque fermé, la tête penchée, elle formulait ses critiques brèves, sans une parole de satisfaction jamais » : telle est apparue la reine Catherine de Médicis aux yeux d’Henri Bouchot, conservateur au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale et auteur d’une biographie de la souveraine parue en 1899[2]. En s’imaginant témoin de la scène, Bouchot ne doute aucunement de sa véracité : comment une Florentine, une Médicis, aurait-elle pu apprécier cet art français encore si « primitif », si « gothique », si éloigné des chefs-d’œuvre qu’elle a admirés, étant enfant, dans les demeures de ses cousins, puis, duchesse d’Orléans et dauphine, dans les châteaux de François Ier, grand amateur de peinture transalpine ? Seulement, puisque Catherine désire être peinte, elle est « obligée, faute d’autres[3] », d’employer les artistes natifs du pays où elle règne. Mais pourquoi ne pas avoir invité des maîtres flamands ou italiens, à l’instar de François Ier qui a fait venir à la Cour Andrea del Sarto[4] et Joos van Cleve[5], malgré tout son attachement à Jean Clouet ? En 1557, Catherine demande certes au cardinal Laurent Strozzi de trouver en Italie un peintre « qui saiche bien peindre au vif » et de lui faire faire un portrait du prélat lui-même ou « de quelque autre que je cognoisse et le m’envoyez à ce que, si je trouve bon et bien faict, vous m’envoyez ledit personnaige pour qu’il serve par deça »[6]. Or, si même le cardinal a pu présenter un artiste à sa royale parente, jamais celui-ci, ni aucun portraitiste italien d’ailleurs, n’entrera au service de Catherine. Le pouvoir d’une reine de France ne suffit-il pas pour engager un peintre plus à son gré que les artistes locaux ? Doit-elle se plier à quelque tradition qui l’empêche de s’adresser aux étrangers ? De telles restrictions paraissent ne jamais avoir existé, et la liste des peintres étrangers travaillant pour les souveraines françaises s’avère suffisamment longue pour l’affirmer : on peut citer les Flamands Corneille de La Haye, peintre de la reine Éléonore bien avant sa naturalisation en septembre 1547, et Joris van der Straeten œuvrant pour Élisabeth d’Autriche et Louise de Lorraine, cette dernière employant également le miniaturiste anglais Nicolas Hilliard. Appelés à paraître devant Catherine de Médicis, les peintres français ne sont peut-être pas accueillis par la reine sévère et mécontente dépeinte par Bouchot, mais plutôt par la souveraine magnanime et bienveillante représentée par Antoine Caron dans un étrange dessin – ou plutôt un modello,car il est mis sous carreaux – conservé au Cabinet des Estampes[7]. Ce croquis met en scène six personnages aux visages impersonnels – Caron n’est pas portraitiste –, dont l’identité est donnée par des annotations à la plume, à l’exception de deux nains, apparemment insignifiants : « la Royne mere du Roy », assise devant une table, se dispose à écrire ou à signer un document ; à ses pieds, « M[me]. de Sauve » joue avec un chien ; « Estienne Du Monstier l’aisné » tend une plume à la reine, tandis que « Pierre Du Monstier », au fond, soulève un rideau[8]. L’auteur de ces inscriptions est digne de confiance : il s’agit de Pierre Dumonstier dit le neveu, fils d’Étienne et dessinateur comme son père, puisque les deux frères qui paradent ainsi devant Catherine l’épée au côté, tels deux jeunes seigneurs de la Cour, ne sont que ses deux portraitistes attitrés ! Reste à savoir si les Dumonstier devaient leur réussite à la seule affection personnelle et exceptionnelle de la reine mère, dont ils seraient tout simplement devenus des favoris, ou si pour eux, ainsi que pour leurs compagnons et confrères, à l’opposé de la commanditaire arbitraire et despotique imaginée par Bouchot, elle n’était pas plutôt une protectrice, une bienfaitrice, une mécène, guidée par la haute estime des peintres français et son amour de l’art du portrait.
   Comme tous les Médicis, Catherine acquiert son goût de l’art et apprend à reconnaître le génie artistique au contact des chefs-d’œuvre rassemblés par sa famille. Cependant, de tous les trésors de l’art florentin et romain qui l’entourent alors, ce sont les portraits qui marquent le plus l’esprit de la jeune fille : d’abord ceux de ses parents et proches, morts avant que la mémoire de Catherine ne puisse fixer leurs traits[9], puis les créations des grands artistes, comme Sebastiano del Piombo. Elle s’est « sentie prise d’amour » pour le portrait de Giulia Gonzague par Piombo (celui même que Vasari qualifie dans ses
Vite de « pittura divina ») qu’elle a vu chez le cardinal Hippolyte de Médicis et qu’elle se fait plus tard envoyer en France[10]. Mais les œuvres que Catherine découvre en arrivant en France éclipseront à ses yeux les réalisations des meilleurs portraitistes italiens. En cette année 1533, le talent de Jean Clouet, portraitiste en titre du roi, est à son apogée, et la jeune duchesse d’Orléans est véritablement séduite par les peintures sorties de son atelier. L’homologie et la monotonie apparentes des effigies de Clouet, dues à l’emploi d’une formule unique – portrait en petit buste sur fond neutre, le visage tourné de trois-quarts –, déconcertent pourtant la plupart de ses compatriotes, tel le nonce Antonio Maria Salviati, qui, en 1573, prié d’envoyer à Rome quelques portraits, écrit qu’« il sera difficile d’en trouver qui soient totalement naturels, car, en France, on s’y connaît si peu en portraits sur le vif qu’on n’en voit presque jamais un qui ait de la distinction[11] ». Les Italiens, habitués à ce que les peintres innovent à chaque commande, adaptant la composition, la gestuelle, les attributs à la condition et aux ambitions du modèle, trouvent les réalisations françaises statiques, voire « archaïques ». À cette pléthore de choix, Catherine préférera étonnamment la rigidité, le laconisme, la sérénité du portrait selon Clouet, sans doute parce que le peintre de François Ier sait, tout en respectant la conception traditionnelle et sans idéalisation aucune, rendre parfaitement l’individuel et le spécifique, au travers seulement de certaines caractéristiques d’expression ou de morphologie, et non grâce à divers signes qu’un spectateur avisé identifie aussitôt comme correspondant à des qualités du modèle.
   Issue d’une famille dont la légitimité politique est sans cesse mise en doute et d’un pays où le droit à la représentation n’est délimité que par la somme qu’un éventuel commanditaire est prêt à débourser, Catherine est également fascinée par l’importance accordée en France au portrait indépendant, et tout spécialement à celui réalisé par un artiste royal. Perçu comme un apanage de la noblesse car indissociable de la vertu aristocratique au cœur de laquelle il y a la fidélité et l’honneur de servir le souverain, le portrait exprime la grâce du roi – le seul à pouvoir reconnaître et récompenser cette vertu, et, par voie de conséquence, le seul dans l’absolu à décider de la représentation de ses sujets. Preuve tangible et publique d’une notoriété, voire d’une faveur royale, le portrait joue ainsi un rôle extrêmement important dans la hiérarchisation de la société courtisane, devenant un instrument de pouvoir d’une prodigieuse efficacité. Le génie de Jean Clouet, ainsi que de son fils François, qui lui succède en 1540, consiste justement à savoir extérioriser avec force, malgré le peu de moyens, cette vertu et ces qualités qui valent à leurs modèles la reconnaissance et la représentation, mais aussi la dignité et la majesté lorsqu’il s’agit de peindre un membre de la famille royale, ou le roi lui-même.
L’engouement de François Ier pour l’art des Clouet ne peut qu’encourager la passion naissante de Catherine pour le portrait « à la française », qui apparaît finalement comme la conjugaison idéale de son amour de l’art et de son envie de connaître et de comprendre les hommes. Parmi les rares personnes à vivre en union spirituelle avec le souverain dans ses dernières années, elle admire son élégance et son autorité ; lui trouve en sa belle-fille une amatrice d’art éclairée, capable d’apprécier la justesse de représentation et de goûter la virtuosité du pinceau ou du crayon. Auprès de François Ier, Catherine apprend à commander les portraits, à contrôler leur reproduction et leur diffusion, en d’autres termes, à gérer l’imagerie royale et à superviser la représentation aulique, responsabilités qui traditionnellement en France incombent au souverain et non à la souveraine, celle-ci s’occupant surtout de l’échange de portraits avec les maisons régnantes alliées[12]. Le vieux roi cède même à son « élève » une partie de ses prérogatives : alors que les jeunes loups de la cour delphinale, comme le comte d’Aumale ou Saint-André, doivent attendre l’avènement de Henri II pour voir leurs traits fixés par les crayons de François Clouet, ce privilège est accordé dès le début des années 1540 aux compagnes de la dauphine, telle Charlotte de La Roche-Andry[13].
   Devenue reine, Catherine de Médicis s’approprie entièrement la commande de portraits féminins aux dépens de son époux, rendant ainsi la tradition du portrait-gratification accessible aux dames de la Cour, puisque ces peintures n’expriment plus la faveur du roi, mais honorent le dévouement à la reine : le droit au portrait est systématiquement accordé à celles de ses suivantes qui n’ont pas ou plus d’office. Avec le roi, elle est désormais la seule à pouvoir s’adresser directement aux portraitistes attitrés – François Clouet et Guillaume Bouteloup –, s’immisçant même dans la réalisation de portraits masculins. Loin d’être un favori du roi – il a refusé la main d’une des filles de Diane de Poitiers – le vidame de Chartres, capitaine de gens d’armes, puis colonel général de l’infanterie, mais surtout gentilhomme servant de la reine dont on l’a parfois dit épris, est gratifié de pas moins de cinq portraits en seulement huit ans[14] ! Quant à la représentation des enfants de France, il semble que, dans ce domaine, Catherine supplante entièrement Henri II, s’imposant dès la naissance de François comme unique commanditaire et arbitre. Non seulement veille-t-elle à ce que les images officielles de ses fils et filles soient régulièrement renouvelées par François Clouet, mais elle insiste pour que Henri rattache un peintre à la maison des Enfants nouvellement constituée, dont la première et la principale activité consisterait à dessiner les visages des petits princes et princesses, afin que la reine, contrainte de vivre séparée d’eux pour leur épargner la pénibilité de la vie à la Cour, puisse juger de leur état de santé. En janvier 1547, l’artiste choisi pour cette délicate mission, un certain Germain Le Mannier, arrive à Romorantin – où François et Élisabeth de France passent l’hiver sous le regard attentif de leurs gouverneurs, les d’Humières – muni de deux missives du couple delphinal : Henri, reconnaissant « les services qu’il m’a faictz ou faict de son mestier », accorde au peintre « le pouvoir en la maison de mes enffans » et un état « d’huissier de chambre ou quelque autre »[15], pendant que Catherine demande aux d’Humières de l’avoir « pour recommandé » et de faire « sçavoir souvent des nouvelles de mon filz et ma fille »[16], c’est-à-dire de lui envoyer régulièrement des crayons réalisés par Le Mannier. Les premiers envois ne tardent pas, suivis de près par de nouvelles requêtes de la reine, toujours terriblement inquiète de la santé de ses enfants, et préférant un dessin aux bulletins écrits les plus précis : d’après sa correspondance, rien qu’entre janvier 1547 et août 1549, vingt portraits au moins lui sont expédiés[17]. Et, si les documents manquent pour le confirmer – les lettres connues de Catherine ne gardent trace que de la commande passée en juin 1552[18], dont trois portraits subsistent, auxquels il convient d’ajouter celui de Charles daté de septembre 1551[19] –, tout porte à croire que les envois se poursuivent jusqu’à l’installation des enfants de France à Paris en 1558.
   Qui est ce Germain Le Mannier chargé par Catherine de Médicis d’une tâche aussi importante ? On ne sait rien de lui avant 1547, sinon qu’il travaille à Fontainebleau depuis 1537 environ, vaquant aux « ouvrages de paintures[20] ». On ignore également si « les services » évoqués dans la lettre de Henri à Jean d’Humières sont réels ou s’il s’agit d’une formule d’usage censée expliquer la nomination de Le Mannier, ni quand et chez qui il apprend à faire des portraits, ni, enfin, si la reine s’adresse à lui le sachant bon portraitiste ou s’il se forme en anticipant les besoins de sa future fonction. En tout cas, quoique l’absence de tableaux attribuables à Germain Le Mannier ne permette aucun jugement sur sa manière de peindre, ses crayons accusent la connaissance de la technique et des procédés clouetiens associés à un style très personnel, qui se distingue par un modelé fondu et plat, des contours stables et épais, des ombres quasi imperceptibles. Mais en dépit de son titre pompeux de « valet de chambre du roy dauphin », il ne parviendra jamais à s’imposer à la Cour, ni même à ébranler quelque peu la position privilégiée de Clouet. Catherine demeure en effet la seule à lui commander des portraits, sans que personne ne puisse profiter de ses talents de portraitiste, pas même le dauphin, qui aime beaucoup son serviteur mais ne lui confie que des tâches plus banales et aujourd’hui jugées futiles, comme peindre des écussons en papier ou concevoir des déguisements. Certes, la reine se montre une commanditaire particulièrement régulière et fidèle – même s’il s’agit invariablement de ses enfants –, de sorte que Germain Le Mannier peut à juste titre être considéré comme le premier portraitiste au service de Catherine de Médicis ; mais les retrouvailles de la famille royale et la mort de Henri II précipitent la fin de sa carrière. La disparition de ce besoin bien spécifique qu’est pour la reine la réception régulière de crayons, la décide curieusement à renoncer complètement aux services de Le Mannier. François II suit le jugement de sa mère, et, tout en confirmant Clouet et Bouteloup dans leurs fonctions de portraitistes royaux, ne pourvoit son ancien peintre que du titre peu enviable de « pensionnaire qui estoit en l’estat du Roy avant son advenement à la couronne[21] ».
  Le renvoi de Le Mannier ne signifie pas pour autant que la passion de Catherine pour les portraits s’affaiblit. Au contraire, devenue reine mère, elle dispose enfin de tous les moyens de l’assouvir, aussi bien financiers – François II constitue à sa mère un douaire si opulent, que, même réduit au début du règne de Charles IX, il sera considéré comme exceptionnel[22] – que politiques. Elle participe désormais pleinement à la puissance souveraine, puisque c’est au dauphin et à Catherine que Henri a confié le royaume avant d’expirer : ce rôle de conseillère privilégiée qui l’associe au pouvoir suprême, qu’elle le détienne officiellement (étant régente durant la minorité de Charles IX) ou non, ne lui sera jamais contesté. Compte tenu de la jeunesse et du cruel manque d’expérience de ses fils, qui ignorent tout du métier de roi, Catherine se charge pour François, puis pour Charles, de nombreuses responsabilités, dont celle de la représentation royale et aulique. Mais son influence dans ce domaine reste particulièrement discrète. Consciente du formidable pouvoir social du portrait, qui rétribue le dévouement au souverain – source unique de grâce –, et plaçant toujours l’intérêt de la maison de France au-dessus de toute considération affective, la reine mère préfère, au lieu de commanditer directement les peintres royaux, limiter ses interventions aux avis et recommandations. Elle veille ainsi à la représentation opportune des puissants seigneurs de la cour remaniée – les ducs de Nemours et de Nevers, les Lorrains, Claude Gouffier, le maréchal de Vieilleville, François III de La Rochefoucauld, le prince de Condé, François de Montmorency, Philibert de Marcilly, seigneur de Sipierre, ou le cardinal de Châtillon –, mais celle de ses propres serviteurs et favoris reste justifiée uniquement par les services rendus au roi, et non à la reine mère : cette grâce sera accordée à François de Kernevenoy (Carnavalet) et à Albert de Gondi, duc de Retz, mais refusée à René de Villequier, Jean-Baptiste Seghiso ou Nicolas Alamanni. Dans son souci de préserver l’autorité monarchique, Catherine ne veut pas formaliser ses rapports avec Clouet, et l’artiste continue à être rémunéré par la seule chambre aux deniers du roi, qu’il s’agisse de ses gages annuels de 240 livres tournois ou de divers paiements extraordinaires qui, cumulés, lui assurent un train de vie comparable à celui d’un maître artisan prospère. La reine mère restera pourtant sa principale commanditaire : sa collection de portraits au crayon, qu’elle continue d’enrichir et commence à organiser depuis la mort de Henri II, est composée pour moitié des œuvres de François Clouet, l’autre moitié étant constituée des feuilles provenant du fonds d’atelier de Jean Clouet que son fils abandonne à sa royale patronne vers 1560[23].
   Mais Catherine de Médicis n’a pas vocation à demeurer dans l’ombre quand son statut de reine veuve et régente lui confère une nouvelle autorité, « comme si elle était roi » constate un ambassadeur vénitien[24]. Catherine affirme haut et fort son rang ; malgré son deuil, elle apparaît en public dans toute sa magnificence, et éprouve une vraie jubilation à se retrouver auréolée du prestige de la majesté royale lors des séances solennelles et des entrées. La reine mère s’impose également comme la protectrice des arts, des sciences et des lettres. François Ier, son modèle en tout, est celui qui inspire sa conduite, mais elle aime également qu’on se souvienne de ses illustres ancêtres florentins comme Cosme de Médicis ou Laurent le Magnifique, dont elle est la seule héritière directe. Dans la préface de son ouvrage Proœmium mathematicum, parue séparément avec les lettres patentes du roi en 1567, le philosophe Pierre de La Ramée clame son admiration pour les Médicis et pour la reine mère, car la vraie grandeur et la vraie magnificence sont pour lui inséparables de l’« affection pour les arts & bonnes lettres[25] ». À partir de 1559, Catherine octroie aux musiciens, poètes, écrivains, inventeurs et savants des charges – honorifiques ou réelles – de valets de chambre, conseillers ou aumôniers, à l’exemple du violoniste Baldassarino di Belgioioso, dit Beaujoyeux, ou du cosmographe André Thevet. Sa maison, réformée en accord avec son statut de reine douairière et possédant désormais une autonomie identique et une composition semblable à celles de la maison du roi, accueille également les artisans en plus grand nombre et, fait nouveau, les artistes : la reine mère aime la beauté, le luxe et l’apparat, et désire posséder ses propres « ouvriers » qui ne travailleront que pour leur auguste patronne.
   Avant 1559, Catherine de Médicis ne dispose pas de ses propres peintres, ou, plus précisément, n’en possède pas officiellement – si sa maison en est dépourvue, elle peut néanmoins les employer hors office –, se conformant sans doute à une certaine tradition. En effet, ni Charlotte de Savoie, ni Anne de Bretagne ne pensionnaient d’artistes, la dernière passant toutes ses commandes au Maître de Moulins et aux peintres royaux, Perréal ou Bourdichon. Le nom de François Bénard, qualifié de « peyntre de la Reyne » dans une quittance datée de 1515, n’apparaît jamais sur les états de Claude de France. De même, Corneille de la Haye, « painctre de la Royne Helienor, Royne de France » – d’après l’inscription qui figure au dos du portrait de Pierre Aymeric[26] – n’a jamais fait officiellement partie de sa maison. Les parentes du roi – comme Anne de France ou Louise de Savoie – acceptaient également que les artistes soient rattachés aux maisons masculines, même lorsque de facto ils ne travaillaient guère pour leur maître. Pour marquer son rang et son indépendance, Marguerite d’Angoulême a innové et imaginé une double subordination, en engageant, en juillet 1527, le fameux « peintre frère de Jannet », qui devait recevoir la moitié de ses gages sur son état et l’autre sur celui de son mari, Henri d’Albret[27].
   Or, si l’honneur de servir Marguerite – sœur du roi de France – était au moins comparable à celui de servir son époux, roi de Navarre, Catherine ne peut, avant son veuvage, accepter cette idée ; consciente de la prétendue modestie de ses origines, elle se conforme aux anciens usages. Les artistes qui œuvrent à la décoration de ses demeures sont ainsi engagés par les Bâtiments du roi, alors que pour les travaux de moindre envergure et les portraits la reine passe simplement commande à Clouet, Bouteloup, Le Mannier ou, à défaut, à un maître peintre. Toutefois, des peintres « à tout faire » ne font que de brèves apparitions dans les comptes de Catherine de Médicis, tel Piramus Lucas, Parisien, payé 4 livres 18 sols tournois pour avoir « portraict en parchemin le partairre du cloz du Pail-Maille de Monceaux » au printemps de 1558, ou le Rémois Pierre Patat, qui peint, la même année, des « fleurs trassées sur canevatz de toille » pour la décoration d’une salle ou d’une chambre[28]. La reine a surtout besoin de portraitistes et de copistes, car c’est de portraits qu’elle désire parer les murs de ses appartements, tant publics – antichambre, chambre, garde-robe –, que privés – cabinet ou galerie. En 1550, la reine fait ainsi un « don et présent » de 96 livres tournois – soit l’équivalent de plus de quatre mois de gages de Clouet ! – au peintre lyonnais Antoine de Bourgogne « pour avoir faict plusieurs painctures pour ladicte dame, le Roy, Messeigneurs ses enffans et princes de la Court », vraisemblablement des copies d’après des œuvres de Clouet et Le Mannier. Dans le même compte figure le Blésois René Thibergeau ou Tibergeau, peintre et enlumineur, qui a déjà travaillé pour Henri II : Catherine paye 46 livres tournois (20 écus au soleil) pour « quatre portraiz en toille, l’ung de ladicte dame [la reine], l’aultre de monseigneur le daulphin, ung aultre de monseigneur le duc de Ferrarre, et l’aultre de madame de Vallentynois, qu’il a faictz par commandement et selon devys d’icelle dame [Catherine] » – encore des copies. Toujours en 1550, Catherine se charge, par l’intermédiaire de Jean-Baptiste de Gondi, son maître d’hôtel, de régler la lourde amende qui pèse sur un certain Nicolas Rebours, dit « painctre d’icelle dame » et vraisemblablement portraitiste lui aussi, condamné à verser 200 livres tournois à « Adrianne Thibault pour l’homicide par luy commis à la personne du frere d’icelle Thibault »[29]. Enfin, huit ans plus tard, Jean Scipion, peintre de Paris, peint pour la somme considérable de 20 livres « ung tableau auquel est la figure de Madame de Crussol que la Roine a retenu pour envoyer en sa maison en chasteau de Monceaux », et Thibergeau perçoit d’abord 144 livres « pour plusieurs figures et protraictures qu’il a faictz pour le service de lad. dame », puis 25 livres « pour la besongne qu’elle luy a commandé faire[30] ».
   Parmi tous ces artistes, seul Thibergeau semble être employé très régulièrement. Il sera même pourvu du titre de « sommelier de la panneterie commun (sic) de la roine », et, sans être couché sur ses états avant la mort de Henri II, il sera toutefois payé « des deniers prins ès coffres de sa chambre », c’est-à-dire sur les revenus propres de Catherine. Mais dès l’avènement de François II, la reine se presse d’officialiser la position de ses peintres. Elle est la première reine de France à accorder aux artistes le statut d’officiers ordinaires de sa maison ainsi que des gages annuels fixes. Thibergeau se voit alors confirmer la charge de « sommelier et pannetier de la Royne mere » à 160 livres tournois de gages annuels, mais qui seront à partager d’abord avec son frère Jacques (qui n’est pas peintre), puis, vers la fin de sa carrière étonnamment longue – sa dernière apparition dans les comptes date de 1585 –, avec son fils Pierre, bien que celui-ci ait refusé d’embrasser la carrière paternelle, lui préférant celle de domestique[31]. Catherine engage aussi Rebours, avec une charge et un salaire identiques, mais elle le congédie bientôt. En outre, deux nouveaux peintres – Gentian Bourdonnoys et Étienne Dumonstier (ou Dumoustier) – peuvent également se prévaloir depuis 1559 de la qualité de « peintre ordinaire de la reine mère », mais déjà, à cette époque, ils prennent le pas sur leurs prédécesseurs, puisqu’ils sont pourvus du titre de « valet de chambre », mieux considéré et donnant droit à une rémunération plus élevée.
   En octroyant à ses peintres les offices de valet de chambre et peintre ordinaire, Catherine se rallie à une pratique d’administration des arts entérinée par François Ier et en vigueur dans la maison royale jusqu’au règne de Henri III. Ce titre place les peintres parmi les commensaux de la chambre sans qu’ils soient tenus de prendre part aux activités domestiques, et leur ouvre droit à tous les privilèges associés à cette condition, à savoir le libre accès à la Cour, l’exemption fiscale, la possibilité (et non l’obligation) de suivre le souverain (donc la souveraine) dans ses déplacements, et ce, aux frais du trésor. Comme tous les officiers, ils reçoivent une rémunération annuelle stable, déterminée par la multiplication de 60 et qui oscille entre 120 et 240 livres tournois, sans comparaison avec les 1200 l. t. du grand-maître ou les 400 l. t. des gentilshommes servants, mais égale aux gages des chapelains, enfants d’honneur et valets de chambre ordinaires, et supérieure à ceux de la grande majorité des serviteurs. Enfin, un office royal est a priori inaliénable : au changement de règne, il est reconduit ou transformé en pension. Surtout, la qualité de « valet de chambre » définit la position des peintres au sein de la maison – sur les états, leurs noms sont consignés sous la catégorie de « peintres et gens de mestier », qui regroupe aussi les artisans, mais exclut les domestiques et les artistes panetiers ou huissiers de salle –, et dans la société – cette charge différencie un artiste pensionné de ceux employés par les Bâtiments ou hors office, et le fait échapper au contrôle de la corporation –, sans pour autant modifier leur statut social, puisque quel que soit leur mérite, les peintres royaux sont toujours considérés comme des ouvriers.
   Néanmoins, si la qualité de valet de chambre est dorénavant accordée à tout nouveau peintre attaché au service de Catherine de Médicis, la reine mère ne reste pas longtemps prisonnière de la tradition établie par son beau-père qui l’empêchait de favoriser ses serviteurs à sa guise. Peu à peu, des divergences apparaissent, et Catherine finira par réformer les anciens usages. Premièrement, le nombre de ses peintres ne cesse de croître, dépassant rapidement toute logique, d’autant que le portrait est l’unique spécialité de la plupart d’entre eux. Ils sont cinq avec l’arrivée de Marc Duval – portraitiste et graveur – dès l’avènement de Charles IX, puis six en 1567, Scipion Bruisbal et un peintre anonyme remplaçant Rebours. On compte huit artistes en 1574 – Duval passe au service du roi, mais sont engagés Pierre Gourdelle et les frères d’Étienne Dumonstier, Pierre et Cosme, tous trois portraitistes ; puis, à nouveau six après le départ de Bruisbal et de son confrère en 1580. Deux ans plus tard, Benjamin Foulon – neveu et élève de Clouet –, Ruggiero de’ Ruggieri et le « painctre de feue madme de Gondy » (Marie-Catherine de Pierrevive, grande amie de Catherine[32]) viennent renforcer les rangs, faisant monter le nombre de peintres de la reine à neuf, effectif qui se maintiendra jusqu’à sa mort en 1589, le départ de Thibergeau et Bourdonnoys étant pallié par l’arrivée de Jean III Patin et Nicolas Le Blond[33]. À titre de comparaison, François II n’a que deux peintres à son service (Clouet et Bouteloup), Charles IX, trois ou quatre selon les années, et Henri III, sept, dont trois cumulant les charges de peintres du roi et de la reine mère et travaillant surtout pour Catherine. Étant donné que, à l’instar de la quasi-totalité des officiers, les peintres servent par quartier ou par demi-année – Thibergeau retourne ainsi régulièrement à Blois lorsqu’il n’est pas de service[34], tout comme Gentian Bourdonnoys, domicilié au « Port-Saincte-Marie en Agenois, païs de Gascongne » et allant tous les ans « en court faire service de son quartier » à la « suitte de Sa Majesté »[35] –, la reine mère dispose en permanence d’au moins deux ou trois artistes, dont obligatoirement un ou deux portraitistes. C’est dire la charge de travail qui leur incombe, alors que de leurs activités est exclue la décoration intérieure des demeures de Catherine, sous la responsabilité de la surintendance des Bâtiments de la reine mère organisée dès 1559 : en témoignent les 482 peintures recensées, en 1589, dans l’hôtel de la Reine à Paris, dont une trentaine de paysages, 36 tableaux religieux et plus de 310 portraits[36]. Par ailleurs, vers 1565, la reine crée à leur intention une catégorie spécifique de « peintres », dissociant de ce fait les artistes des « gens de mestier » : ce chapitre n’apparaîtra dans les Rooles des officiers royaux qu’une vingtaine d’années plus tard ! Ceci permet à Catherine non seulement de distinguer ses serviteurs, mais également de les sortir du carcan des traitements hiérarchisés, de décider elle-même du maintien d’un peintre à son service et de la hauteur de ses gages, aussitôt augmentés jusqu’à dépasser ceux des peintres royaux comme Clouet. Les 200 livres annuelles de Bourdonnoys sont ainsi confortées par de nombreux dons[37]. Quant à Étienne Dumonstier, en 1568, la reine lui verse pas moins de 400 livres tournois, soit autant qu’à ses dames d’honneur, échansons, écuyers tranchants ou gentilshommes servants, catégories réservées aux nobles !
   Le cas de Ruggieri, seul peintre italien que Catherine ait jamais engagé et le seul à appartenir à l’école de Fontainebleau, est révélateur. Proche collaborateur de Primatice, auquel il succède comme garde et gouverneur du Grand Jardin, puis surintendant des peintures du château, il travaille déjà pour la reine mère avant que son nom ne soit porté sur ses états, chargé notamment de la décoration de ses appartements à Fontainebleau et à l’hôtel de la Reine. Ses fonctions lui rapportent annuellement plus d’un millier de livres, revenu comparable à ceux de ses illustres compatriotes comme Rosso ou Primatice, mais le titre de peintre ordinaire de la reine mère, dont il est pourvu en 1583, ne lui procure que 400 livres[38]. Or, si la somme est importante, c’est le traitement dont bénéficient déjà Foulon et Gourdelle, tandis que Pierre et Cosme Dumonstier touchent 300 livres et leur frère Étienne, 600 livres. C’est donc au sein de la maison de la reine mère que, pour la première fois depuis leur venue à la cour de France, l’un des maîtres italiens a été traité sur un pied d’égalité avec les peintres français, traditionnellement désavantagés face aux artistes invités, réputés plus experts. Cependant, tous les peintres de la reine mère ne bénéficient guère de tels gages, et ceux qui en jouissent ont des carrières et des compétences étonnamment semblables, révélant les préférences artistiques et mécénales de Catherine de Médicis : ils obtiennent leur office ordinaire relativement jeunes – entre vingt-sept et trente ans en moyenne, trente-deux pour le plus âgé –, paraissent avoir déjà acquis une réputation certaine en travaillant pour la famille royale (les Dumonstier dans l’atelier de leur père, Foulon chez Clouet, et Gourdelle auprès d’Antoine Caron), savent donner entière satisfaction à la reine mère, restent longtemps à son service, et, surtout, sont portraitistes, avec une prédilection pour le portrait au crayon, déprécié par les autres nations, mais élevé au rang d’œuvre d’art à part entière par les Français.
   Dans son envie de favoriser les artistes qu’elle aime, Catherine ne connaît pas de retenue, n’hésitant pas à bouleverser la hiérarchie curiale. Déjà, les gages qu’elle leur verse sont tellement généreux, que la reine mère, dont la situation financière deviendra de plus en plus délicate, fera parfois payer ses officiers par le trésorier du roi. Mais les sommes de 300, 400 ou 600 livres, relativement importantes pour l’époque, paraissent modestes en comparaison des dons que Catherine accorde à ses artistes et tout particulièrement aux trois frères Dumonstier. Dès 1578, elle constitue en faveur de son « bien amé Estienne Dumonstier [...] sa vye durant », une rente annuelle de 1330 livres sur la recette ordinaire de son duché de Valois, « affin de luy donner toute occasion de contantement en sorte qu’il peust vivre le reste de ses jours avec quelque honneste gratiffication qui témoignast sa fidellité et la satisfaction que recevions de ses longs services »[39]. À sa mort en 1589, la reine est encore redevable de 2400 livres tournois « restans de deux mil sept cens trente livres contenus en la rescription dudict Marcel [secrétaire de la reine], du troisiesme Janvier mil cinq cents soixantedixhuict » à Étienne et de pas moins de 2150 écus – soit 6450 livres – « contenus au mandement du vingthuictiesme Decembre mil cinq cents quatrevingts huit » à Cosme[40] ! Jusque là, aucun peintre du royaume n’a bénéficié d’une donation aussi importante, comparable au revenu annuel d’une abbaye de taille moyenne ou au traitement cumulé d’un architecte tel que Philibert de L’Orme. Or, plus que la prospérité, ces émoluments offrent une grande liberté aux artistes, qui peuvent ainsi pratiquer leur art non plus pour « gagner leur pain », mais simplement pour leur « plaisir, sans autre ambition que de contenter leur maître[41] ». Dans ce sens, la rente accordée à Étienne Dumonstier a ceci d’inhabituel qu’elle est prélevée sur les revenus personnels de Catherine et non sur les recettes d’État (l’Hôtel de Ville de Paris, par exemple), transformant le service de cour en relation d’allégeance personnelle à la reine mère : elle ne récompense pas un travail accompli, mais la disponibilité de l’artiste et son talent de « tirer au vif le portraict », considéré comme une faculté exceptionnelle, un don naturel et inaliénable, voire une vertu. Par la faveur de Catherine de Médicis, les Dumonstier sont parmi les premiers à s’affranchir totalement de la corporation, sans pour autant être empêchés de prendre commande des courtisans et même des clients extérieurs à la Cour, attirés par le prestige de leur titre. La qualité de « paintre de la royne mere » leur assure une position sociale nouvelle et leur procure une dignité particulière, qui les détache du groupe des « gens de mestier » et oblige presque la société à reconnaître le caractère non artisanal de leur art, le portrait, activité autrement noble – d’où les vêtements superbes et les épées que Pierre et Étienne portent sur le dessin d’Antoine Caron, attributs qu’ils n’ont sans doute pas le sentiment d’usurper, même s’ils n’espèrent pas être anoblis. L’épitaphe d’Étienne dans la nef de Saint-Jean-en-Grève décrit ce peintre comme « noble, rare et excellent en son art » et lui attribue même des armoiries « d’azur à l’église ou moustier d’argent[42] ». Cette dignité rend également possible l’implication personnelle des artistes dans la politique artistique de la reine mère : la rente octroyée à Étienne Dumonstier vise à reconnaître les services qu’il « avoit faictz durant dix huict ans et plus, tant à nostre suitte qu’à celle de plusieurs princes et potentatz estrangers, près lesquelz il auroit résidé plusieurs années par nostre commandement pour nostre service[43]. » Portraitiste délégué et accrédité par Catherine auprès des cours d’Espagne (en 1565), d’Autriche (en 1570) ou d’Angleterre (en 1581), Étienne Dumonstier, parfois accompagné de ses frères, se trouve ainsi chargé de délicates missions, qui l’apparentent à un ambassadeur de l’art et du faste français, bien qu’il se présente toujours comme un serviteur de la reine mère, jouissant de sa faveur et de toute sa confiance.

   La soif d’art de Catherine de Médicis, son amour du portrait, la conscience de sa grande force politique et de l’importance d’un imaginaire dynastique organisé, ont fait naître un nombre impressionnant d’œuvres réalisées selon son « devis et ordonnance » par les artistes royaux ou ceux qu’elle a voulu attacher à son service. Mais sa libéralité et son mécénat ont également produit en France un type de peintre nouveau, un « peintre de cour », voire un « peintre-courtisan », qui, sans être encore tout à fait « artiste » et « créateur », n’est déjà plus « ouvrier » ou « artisan ». Henri IV, à qui on attribue parfois la libération des peintres des entraves corporatives, n’avait en effet qu’à concrétiser ce statut de « peintre-courtisan » inauguré par les frères Dumonstier, par l’attribution du brevet du peintre du roi ou de la reine et l’installation des artistes brevetés au Louvre. Si Catherine de Médicis, en digne héritière de François Ier, submerge de commandes ses portraitistes affectionnés, si elle est la première des reines de France à pensionner les peintres, à les inscrire sur les états de sa maison et à leur accorder le titre réel – et non honorifique – de « peintre de la reine », elle leur offre aussi plus que des gages extrêmement généreux, mais une reconnaissance, une dignité et une liberté jusque là inaccessibles aux personnes de leur condition, préfigurant les changements qui surviendront dans la profession au XVIIe siècle, et qui trouveront leur couronnement dans la création de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture : la disparition des institutions corporatives et l’émergence d’une individualité artistique consciente de soi.

NOTES

[1] Louis d’Orléans (?), « À la Royne mere du roy Caterine de Médicis », BnF, ms. fr. 7228, fol. 621.
[2] Henri Bouchot,
Catherine de Médicis, Paris, J. Boussod, 1899, p. 162.
[3] Ibid., loc. cit.
[4] Pendant les neuf mois que dure son séjour à la cour de France entre 1518 et 1519, Andrea del Sarto peint La Charité, aujourd’hui au Louvre (inv. 712), et un portrait du dauphin François, malheureusement perdu (Giorgio Vasari,
Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, éd. André Chastel, Paris, Berger-Levrault, 1984, VI, p. 67 ; John Shearman, Andrea del Sarto, Oxford, Clarendon Press, 1965, II, n° 41, p. 229-230).
[5] Voir Ludwig Baldass,
Joos van Cleve : der Meister des Todes Marias, Vienne, Krystall-Verlag, 1925, p. 3 ; John Oliver Hand, Joos van Cleve : The Complete Paintings, New Haven, Yale University Press, 2004, p. 101 sq. ; et dans ce volume, pour une lecture légèrement différente, la contribution d’Annemarie Jordan et Kathleen Wilson-Chevalier.
[6] Catherine de Médicis,
Lettres de Catherine de Médicis, éd. Gustave Baguenault de Puchesse et Hector de la Ferrière-Percy, 10 t., Paris, Imprimerie nationale, 1880-1909, t. I, p. 109 (dorénavant, LCM).
[7] BnF, Est. B6a (1) rés., n° 5 (pierre noire, plume, encre brune, lavis brun, rehauts de blanc sur papier contre-collé sur bois ; H. 0,280 ; L. 0,370).
[8] On a cru que ce rideau séparait la pièce d’une chambre voisine, mais il semble en réalité dissimuler une fenêtre – le geste de Pierre Dumonstier n’ayant alors d’autre explication que la nécessité de laisser entrer la lumière du jour.
[9] Madeleine de La Tour meurt quinze jours après la naissance de Catherine, et son époux, Laurent de Médicis, six jours plus tard. En 1520, la fillette perd sa grand-mère, Alfonsine Orsini, qui veillait sur elle depuis la mort de ses parents, et l’année d’après son oncle, le pape Léon X, qui l’avait accueillie à Rome.
[10
Lettres de Girolamo Dandino au cardinal Alessandro Farnèse, Fontainebleau, 10 janv. 1541 (Archivio Vaticano, Nunz. Francia, t. II, fol. 152, orig.) ; et d’Alessandro Farnèse à Girolamo Dandino, Rome, 29 août 1547 (Parme, Archivio di Stato, Epistolario scelto, vol. 22). Conservé à Fontainebleau jusqu’au milieu du XVIIe siècle, ce portrait est aujourd’hui perdu.
[11] Lettres d’Antonio Maria Salviati à Tolomeo Galli, Paris, 15 févr. 1573 : « Che siano totalmente naturali sarà difficile, perché in Francia si sa tanto poco del ritrarre del naturale, che non ci si vede quasi mai ritratto che habbia garbo… » (
Correspondance du nonce en France Antonio Maria Salviati (1572-1578), éd. Pierre Hurtubise, 2 t., Rome, Université pontificale grégorienne (École française de Rome), coll. « Acta Nuntiaturæ Gallicæ », nos 12 et 13, 1975, t. I, p. 414).
[12
Dans certains cas, confier aux femmes l’envoi de portraits de famille, ainsi que la réception de ceux expédiés par les cours européennes, rendait de tels échanges moins officiels, voire quasi privés – les maisons royales et princières n’étaient-elles pas toutes parentes ? –, sans pour autant occulter leur rôle politiquement très subtil. Anne de Bretagne, Louise de Savoie, Marguerite de Navarre et, plus tard, Catherine de Bourbon et Marie de Médicis, se chargent pour la famille de France de cette importante tâche. Catherine de Médicis est particulièrement active dans ce domaine, inondant les cours étrangères de portraits de ses enfants, surtout après le décès tragique d’Henri II.
[13] Alexandra Zvereva, « Par commandement et selon devys d’icelle dame ” : Catherine de Médicis commanditaire de portraits », in Sabine Frommel et Gerhard Wolf (dir.),
Il Mecenatismo di Caterina de’ Medici. Poesia, feste, musica, pittura, scultura, architettura, Kunsthistorisches Institut in Florenz, Max-Planck-Institut, École pratique des hautes études, Venise, Marcilio, 2008, p. 215-228.
[14] Chantilly, musée Condé, inv. MN 66-MN 69 ; recueils de copies (Carmes, 33 ; Fontette II, inv. PI 376/58 ; Valori, H.54 ; Leroux-Fécamp, vente Drouot, Paris, 20 juin 2001, coll. R. de Nicolay, lot 16).
[15] BnF, ms. fr. 3008, fol. 187.
[16] BnF, ms. fr. 3120, fol. 1.
[17] Six portraits de François, cinq d’Élisabeth, quatre de Claude, deux de Louis et deux de Marie Stuart, dont aucun ne subsiste (BnF, ms. fr. 3120, fol. 18, 37 et 72 ; ms. fr. 3178, fol. 201).
[18] BnF, ms. fr. 3133, fol. 4 et 8.
[19
Chantilly, musée Condé, inv. MN 37, 38 et 39 ; Florence, Galleria degli Uffizi, Gabinetto Disegni e Stampe, inv. 14922 F.
[20] Léon E. S. J. de Laborde,
Les Comptes des bâtiments du roi. 1528-1571,2 t., Paris, J. Baur et SHAF, 1877-1880, I, p. 136, 196, 202-203.
[21
BnF, ms. fr. 3134, fol. 131. Archives nationales (dorénavant AN), KK 129.
[22
L’ambassadeur vénitien Giovanni Michiel l’évalue alors à trois cent mille francs par an, « c’est-à-dire le double de celui des autres reines douairières : par ce moyen elle a non seulement de quoi payer ses dettes, mais de quoi dépenser richement » (Niccolò Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France au XVIe siècle, 2 t., Paris, Imprimerie royale, 1838, t. I, p. 429).
[23
Alexandra Zvereva, La Collection de portraits au crayon de Catherine de Médicis, thèse de doctorat, Université Paris IV-Sorbonne, 2005 ; idem, Les Clouet de Catherine de Médicis. Chefs-d’œuvre graphiques du Musée Condé, cat. d’exp., Chantilly, Musée Condé/Paris, Somogy éditions d’art, 2002.
[24
Relation de Giovanni Michiel, 1561 (N. Tommaseo, Relations, t. I, p. 425, 427).
[25] Pierre de La Ramée,
Lettres patentes du Roy, touchant l’institution de ses lecteurs en l’université de Paris, avec la preface de Pierre de La Ramée sur le proœme des mathématiques. A la royne, mere du Roy, Paris, A. Wechel, 1567, p. 11.
[26] Paris, Musée du Louvre, inv. RF 1976-15 (huile sur bois ; H. 0,165 ; L. 0,140). Voir dans ce volume la contribution d’Annemarie Jordan et de Kathleen Wilson-Chevalier.
[27] BnF, ms. fr. 2971, fol. 3.
[28] BnF, ms. fr. 10396, fol. 41 v°, 50 v°, 51 r°.
[29] BnF, ms. n. a. lat. 2308, fol. 12 r°-13 v°.
[30] BnF, ms. fr. 10 396, fol. 36 v°, 52 v°, 64 r°, 66 v°.
[31] BnF, ms. fr. 21451, fol. 361 v° ; 21479, fol. 123 r° ; Clairambault 1216, fol. 34 v°, 63 r°. AN, KK 116, fol. 39 v°.
[32] Voir dans ce volume la contribution de Laurent Odde.
[33] BnF, ms. Clairambault 1216 ; Cinq-cents de Colbert 7 ; Dupuy 852 ; fr. 7854 ; fr. 21479 ; fr. 21451 ; fr. 23944 ; n. a. fr. 7858 ; n. acq. fr. 9275. AN, KK 116 ; 133a. Il est possible que Nicolas Le Blond, dont le nom apparaît dans l’arrêt du Parlement de Paris du 23 août 1601 relatif à la succession de Catherine de Médicis et qui réclamait alors ses gages non payés, soit justement l’ancien peintre de Madame de Gondi (AN K 103, fol. 3 v°).
[34] Quand il est à Blois, Thibergeau donne procuration à Jehan Denis dit de Bourget pour percevoir son salaire (BnF, pièces originales 2823, cote 62, 758, nos 2-5).
[35] AN, Y 112, fol. 450 v° ; KK 122, fol. 120, 143 v° et 165.
[36
Le sujet de certains tableaux est incertain ou n’est pas précisé (BnF, ms. fr. lat. 14359, fol. 417-495).
[37] Pratique courante dans les maisons princières, où « l’essentiel de la rémunération consiste précisément en récompenses » (Jean-Pierre Gutton,
Domestiques et serviteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Aubier Montaigne, 1981, p. 57). Pour une description du large spectre de la condition domestique dans la maison du roi, voir ibid., p. 28-35.
[38] BnF, ms. fr. 21451, fol. 367 v° ; Clairambault 1216, fol. 62 v° ; AN, KK 117, fol. 35 v°.
[39] En 1586, cette rente sera transférée aux revenus personnels de Catherine émanant des comtés d’Auvergne et de Clermont, ainsi que de la baronnie de La Tour (AN, K 104, fol. 68).
[40
AN, K 103, fol. 51 r°, 62 r°, 65 r°.
[41] Voir Karel Van Mander à propos de Spranger travaillant au service de l’Empereur (Karel Van Mander,
Le livres des peintres, éd. V. Gerard-Powell, Paris, Belles lettres, 2002, t. II, p. 112).
[42] BnF, ms. fr. 9488, E II, p. 969 ; suppl. fr. 3024, t. II, p. 488. Cosme est dit « écuyer » dans une des quittances qu’il a données à François Desportes d’une partie de la rente que Henri IV lui a accordée sur les bénéfices de l’abbaye de Bonport près de Rouen, dont le poète était l’abbé commendataire (Charles de Beaurepaire,
Bulletin de la Commission des Antiquités de la Seine-inférieure, XIV, 1907, p. 229).
[43] AN, K 104, fol. 68.